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La visite

Publié le 6 avril 2020

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Automne 2019.

Descendu pour trois jours à Sainte-Engrâce avec un ami, on était bien sûr montés au col et visite rituelle à la cabane de Queffélec.

Cette année le toit était effondré, béant, les fenêtres ouverte ; pour la porte d’entrée je ne me souviens plus si elle était encore en place et battante, ou arrachée et gisant sur l’herbe. J’avais toujours rêvé de voir l’intérieur de cette cabane autrement qu’en espionnant par la vitre, plus de motif d’y renoncer.

Nous sommes entrés pour trouver cette désolation. Un bon tiers de la cabane effondré sur lui-même, l’odeur de moisi prenait à la gorge. J’ai fait ces trois photos à main levée ; le trépied et les autres objectifs étaient resté dans le coffre de la voiture, ces trois photo c’était en gros tout ce que l’on pouvait faire sans. La flemme d’aller le chercher, la peur que le toit nous tombe sur la tête, et l’envie de quitter cette décomposition plus que d’en faire des photos, en fait.

Cette visite m’a rappelé très fort la fois où j’avais eu la surprise de découvrir la Calypso de Cousteau dans le port de La Rochelle. Émotion, parce que les films de Cousteau c’était une part d’enfance, et ce bateau était pour les gens de ma génération, mythique.

La fière Calypso était attachée à couple avec un autre bateau, entourée de sangles pour maintenir les planches sur les bordés, parce que sinon elle se serait dispersée dans le bassin. Des pompes d’épuisement tournaient 24/24 pour la maintenir à flot. Tout ce qui pouvait être enlevé avait été pillé. J’ai touché le bois : c’était comme de l’éponge, en grattant un peu avec l’ongle on passait à travers la coque.

C’était une longue et sordide histoire de sous, cette Calypso, entre son propriétaire (Loel Guinness, celui des bières) et les héritiers et ayants-droits de Cousteau. L’homme au bonnet rouge avait souhaité avec un peu d’orgueil, que son navire soit coulé après lui. Aux dernières nouvelles il achèverait de pourrir en Turquie.

Comme le vent de la Pierre Saint-Martin disperse peu à peu la cabane de Queff — matériaux, batteries, objets, dans le paysage grandiose qu’il aimait contempler depuis sa fenêtre — je doute qu’il aurait voulu ça.

Debout, face à l’ouest, derrière la vitre épaisse, j’observe jusqu’à l’éblouissement les hachures qui jaillissent des nuages cotonneux et viennent se planter dans la combe déjà blanche. Parfois, par une déchirure des nuées, les rochers du lapiaz ou les sapins noueux apparaissent l’espace d’une minute, au crayon fin sur une carte à gratter d’où la rafale suivante les gomme en quelques secondes.

Corentin Queffélec, Jusqu’au fond du gouffre, t.2.