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Paysages Verna
Publié le 1er mai 2015
Tentative de photos à la lampe frontale dans la salle de la Verna, gouffre de la Pierre Saint-Martin, avril 2015
La Verna et moi c’est une longue histoire de rêve, depuis le bouquin de Tazieff « Le gouffre de la Pierre Saint-Martin » dévoré à 10-11 ans et sans doute celui que j’ai le plus relu depuis. Des années j’avais rêvé de cette salle souterraine, longtemps la plus vaste du monde en volume, sans oser espérer que je puisse la voir un jour. Je rêvais de la Verna comme on rêve du cap Horn.
Depuis 2010 elle est ouverte au public (à Sainte-Engrâce, en Pays Basque) et c’est très probablement avec l’incontournable gouffre de Padirac, le site souterrain majeur en France, et même mondial puisque elle tient encore le troisième rang des salles géantes, les deux premières se trouvant en Malaisie et n’étant pas accessibles au public.
Padirac c’est une rivière souterraine paisible sous le causse de Gramat, qui se visite agréablement et de belles salles majestueuses qui réjouissent l’œil ; mais on reste dans l’échelle humaine. La Verna c’est une salle géante dans un gouffre montagnard géant. La démesure, la minéralité absolue, violente, un déchaînement d’obscurité et de vide, tout cela à 6 degrés et 100% d’humidité.
Tenter de décrire, de photographier même, la Verna, est quasiment impossible ; dire qu’elle contiendrait six fois Notre Dame de Paris, qu’on y a fait un jour voler une montgolfière, donner des chiffres... rien n’y fait. Il faut la voir, et prendre le temps de la parcourir, descendre au fond, errer dans l’ombre parmi les blocs cyclopéens. Deux bonnes heures ne sont pas de trop pour que le cerveau parvienne à en percevoir l’immensité et en reconstituer une sorte de « panoramique » mental.
Depuis longtemps je rêvais malgré tout d’y faire des photos. À défaut de la représenter dans son intégralité, en évoquer l’obscurité, la force, le mystère, l’austérité.
Je ne suis pas spéléologue (et combien je le regrette). Mais la photo spéléo, même pratiquée par de très bons photographes — comme l’ami Brice Maestracci — me laisse souvent sur ma faim. Le spéléologue photographe cherche souvent d’abord à montrer, documenter. Il s’intéresse à l’aspect géologique comme sportif, il amène lumière et couleur là où ne règnent normalement que les ténèbres, il illumine salles et siphons.
En photo souterraine on utilise souvent plusieurs sources de lumière, flashes ou maintenant phares à LEDs, seul moyen d’éclairer les vastes salles. Comme la spéléo c’est une activité d’équipe ; on place souvent des camarades sur l’image, autant pour éclairer les parois, que pour donner de la dynamique de l’image et comme seul moyen de donner l’échelle — sinon difficile de se rendre compte de la taille d’un rocher, d’une galerie..
Mais je ne retrouve pas vraiment dans la photo spéléo « moderne », les sensations que j’éprouve à chaque fois que je mets les pieds sous terre, qui sont souvent des réminiscences d’explos adolescentes seul ou avec un copain et des éclairages de casque bricolés dans nos petites grottes étroites et boueuses du Poitou : obscurité, absence de contraste et de couleur, visibilité réduite aux quelques décimètres que procure l’éclairage frontal. Pour moi la photo souterraine ce serait forcément en noir et blanc, et le sujet en serait principalement l’obscurité.
L’idée c’était d’aborder le monde souterrain — ici le mythique gouffre de la Pierre Saint-Martin dans ce qu’il a de plus grandiose — en tant que paysage, et comme on pourrait le voir seul à la lueur de sa frontale, et comme nous le montrent les photos des pionniers tels que Casteret, Ertaud ou Tazieff, qui opéraient au magnésium (on n’oublie pas Nadar, qui fut le premier à amener sous terre un appareil photo dans les airs mais aussi sous terre : dans les catacombes).
Je pensais à ça depuis des années — en fait depuis que je connais le travail de Michel Séméniako, qui éclaire les paysages de nuit à la lampe torche : cette technique qu’il utilise avec le paysage urbain, ne pourrait-on pas l’appliquer au paysage souterrain ? Et qu’est-ce que cela donnerait ?
Ne pas chercher à tout montrer mais suggérer et donner à rêver, imaginer. S’en tenir à ce rocher que l’on est capable d’éclairer seul — le reste on ne le voit pas. Laisser toute sa place à l’ombre et à l’obscurité. Utiliser la frontale comme un pinceau pour éclairer ce que l’on veut, et laisser le reste dans l’ombre. Et laisser aussi sa part au hasard.
La Verna était le lieu idéal pour essayer cela, puisque accessible aux non-spéléos, que j’y ai mes entrées par amitié, que c’est le site le plus grandiose que l’on puisse rêver et que l’éclairage touristique est réduit à son strict minimum pour préserver le mystère et la sauvagerie du gouffre.
J’avais sur le casque une puissante frontale à LEDs, prêtée par l’ami Jean-François Godart. Celle-ci lui ayant été offerte par Michel Letrône et Daniel Épelly, deux des inventeurs de la Verna en 1953 à l’occasion du soixantième anniversaire en 2013. Cela avait aussi une saveur particulière pour moi.
C’était juste un essai parce que le cadrage et la mise au point au jugé, l’exposition totalement au pif, et pas d’écran de contrôle en argentique je ne savais absolument pas s’il y aurait la moindre image sur le négatif. Mais chance : ça a plutôt marché comme je l’espérais.
Ce que l’on voit sur l’image n’est pas vraiment fidèle à ce que l’on voit en réalité, qui est beaucoup moins contrasté. Les vaguelettes et reflets de l’eau ont disparu du fait de la pose lente (quelques minutes pendant lesquels je dansais quasiment, moi qui ai horreur de ça, autour des rochers, pour les éclairer avec ma frontale). Mais c’était aussi l’idée, le but : ne pas chercher à décrire mais à suggérer.
À part sur deux des photos et parce que je ne l’ai pas fait exprès (il y a dans la salle quelques silhouettes humaines fluo, minuscules sur les photos), pas de personnage pour donner l’échelle. C’est sans doute un peu dommage car les blocs photographiés sont énormes, mais je voulais m’en tenir au seul paysage minéral.
J’attends avec impatience de pouvoir revenir à la Verna pour poursuivre la série. Et peut-être dans les autres salles du gouffre si quelqu’un veut bien m’y guider... à suivre...
Merci à Jean-François Godart et la SAS La Verna !