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Les mains dans le cambouis
Publié le 4 mai
Il y a quelques jours quelqu’un m’a demandé si je faisais toujours autant de musique.
Ça m’a embarrassé un instant parce qu’à part un cours d’alto et de tabla hebdomadaires, et une pratique bien trop aléatoire pour progresser entre les deux, ça fait plus de dix mois que je n’ai pas touché au hautbois ni au basson, et très peu à la basse. Le piano n’a pas été accordé, ni joué depuis que mon pote Bertrand est venu enregistrer dessus. Même à l’école, la guitare reste au coin depuis que les mômes m’ont cassé la corde de Mi et perdu une tête de mécanique, alors qu’elle en avait déjà une HS. Donc inaccordable, pas envie de faire des frais sur une gratte payée 30€ sur un coin de trottoir, et la flemme de m’en occuper : « Il y a des années, où l’on a envie de ne rien faire ».
Pourtant j’ai l’impression d’être toujours dedans, avec toujours un projet ou un rêve dans la tête. Et puis il y a le merveilleux logiciel Pure Data avec lequel je m’amuse comme un gosse avec sa boîte de Lego.
En réalisant ça, j’ai pensé à mon père, qui avait un bateau sur le Bassin d’Arcachon. Une vedette à moteur qui était au corps-mort dans le chenal, et le père y passait ses journées, seul. Ma mère préférait le tricot au bateau ; lui son plaisir était d’être « entre ciel et mer », en short et torse nu, la tête en bas dans le coffre de son moteur, dans les vapeurs d’essence, le cul en l’air et les mains dans le cambouis.
Je n’ai jamais très bien compris ce qu’il faisait à ce p. de moteur qu’il était toujours en train d’améliorer mais nous a laissé plus d’une fois en panne au milieu de l’eau — mais son plaisir, et sa manière à lui d’aimer la mer, c’était ça.
Et je me suis dit que moi avec la musique, que ce soit à guetter des basses sur le Bon coin, que je n’achèterai pas parce que j’en ai déjà cinq qui ne servent pas, nettoyer un vieux hautbois, démonter un Revox qui ne sera peut-être jamais remonté, mettre des claviers en plastique dans une caisse en sapin pour qu’il ressemblent vaguement à un orgue Hammond, ou relier des petites boîtes dans Pure Data pour émuler un synthétiseur que je possède déjà en vrai (et qui ne me sert pas plus que les autres bidules à faire du bruit), je suis un peu comme lui, les chiens ne faisant pas des chats : la tête en bas, le cul en l’air, et les mains dans le cambouis.
Au corps-mort dans le chenal, mais dans le courant quand même, et heureux comme ça, finalement.