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Chou-fleur
Publié le 13 décembre 2019
Je me souviens que tout petit je raffolais du chou-fleur (j’aime toujours, mais bon, ça ne me fait plus autant sauter au plafond). C’est pourtant pas courant chez les gamins, un peu comme les épinards, que j’ai toujours aimés aussi (c’est ça un blog, tu sauras tout de mes petits secrets intimes).
J’avais une brave nounou que j’appelais Nin-Nin, je ne sais pas trop pourquoi, je crois avoir entendu qu’un autre drôle qu’elle avait gardé avant moi, l’avait déjà surnommée comme ça.
Elle faisait souvent du chou-fleur pour sa famille, et il paraît qu’à chaque fois je lui disais « tu m’en dardras, dis, Nin-Nin ? » Du moins c’est ce qu’elle me racontait pendant bien des années ensuite, à chaque fois qu’on se revoyait. Quand elle a cessé de me darder, ça ne devait pas payer lourd, elle est partie travailler à l’usine de fabrication de pièces de faucheuses agricoles. Son taf c’était de ramasser tous les débris métalliques tombés par terre, tranchants comme des rasoirs, ses mains c’était plus des mains, que des cicatrices (les gants sans doute, mais va donc ramasser des petits objets avec des gros gants en cuir). Avec des horaires en 2/8 t’imagines ça, passer huit heures dans un atelier pas chauffé l’hiver et suffocant l’été, à te baisser sans arrêt pour ramasser des coupures aux doigts, pour le smic.
L’été elle allait avec son mari (un Jacques aussi, grand, maigre, moustachu) et le chat siamois en vacances à Millau avec la tente de camping, le même emplacement depuis vingt ans ou plus au bord du Tarn, à côté des mêmes voisins en caravane, le pastis à midi, le poste de radio sur la table, la sieste et la partie de boules ensuite.
La dernière fois que je l’ai vue c’était peu avant sa mort, son visage avait la couleur exacte d’un petit pot en cuivre avec lequel je jouais étant gosse, pas pu m’empêcher de faire le rapprochement. Elle était déjà toute menue, là c’était une peau sur un squelette. Forcément elle avait dû me raconter encore une dernière fois « tu m’en dardras, dis, Nin-Nin ? » Elle est partie une semaine plus tard.
Je l’aimais bien Nin-Nin, pas seulement pour le chou-fleur, mais une pensée pour elle à chaque fois que j’en fais, quand même.