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Le Bitochon
Publié le 28 juillet 2016
À mon frère Pierre, baron de Feraboeuf, guide officiel et assermenté du Bitochon de Marnay.
Si vous passez dans ce coin de Poitou, un peu au sud de Poitiers près de Gençay, ne manquez pas d’aller voir la fontaine de Puyrabier, d’une part, une merveilleuse petite résurgence vauclusienne aux eaux couleur aigue-marine qui est la source de la rivière la Belle. À l’étiage c’est encore plus beau car on voit les parois calcaires et le fond. Mais défense de se baigner, d’ailleurs c’est glacial.
Et puis en vous renseignant un peu dans le pays, vous trouverez bien quelqu’un qui pourra vous indiquer où se trouve le Bitochon de Marnay.
Qu’est-ce que le Bitochon ? vous entends-je vous interroger d’ici. Réponse 1) : une cheminée, ceci pour la fonction. Réponse 2) : la plus belle représentation d’une biroute en érection du Poitou, et sans doute de France et de Navarre, ceci pour la symbolique et l’esthétique.
Je ne vais pas vous raconter en détail l’histoire du Bitochon, qui vaut pourtant son pesant de coucougnettes, parce que tout est dans cet excellent document, écrit mieux que je ne saurais le faire. Mais si vous êtes pressé, retenez que l’érection de ce phallique monument fut la résultante au XIXe siècle d’un conflit de voisinage entre le sieur Louis Bourdier, robuste roturier, et la marquise du Lau, aristocrate bigotte, qui venait de faire construire en limite de propriété de Bourdier, son château du Gué.
En représailles et moquerie, celui-ci éleva donc un haut monument ithyphallique de six mètres de haut, juste en face de ses fenêtres, en haut d’une colline nue, donc visible comme la b... pardon, le nez de Cyrano au milieu de sa figure. Aux plaintes qu’elle ne manqua pas de déposer aux autorités, il rétorqua qu’il ne voyait pas de quoi on parlait et qu’il avait bien le droit de construire une cheminée sur son terrain : il avait en effet aménagé dessous, à flanc de colline, un petit abri troglodytique douillet avec table, lit et cheminée dans lequel il recevait ses conquêtes féminines — donc face aux fenêtres de la marquise. Dans ces moments-là, le Bitochon trouvait effectivement sa vocation utilitaire de cheminée, puisqu’au plus fort de l’action il crachait de la fumée par son orifice (vous avez compris que l’on est en pleine symbolique).
En fait la marquise avait construit le château à l’intention d’un neveu qui ne l’habita que trois semaines ; il est depuis à l’abandon, ce qui en fait un rêve de photographe Urbex — moi je ne vous ai rien dit, hein, les propriétaires habitent à côté, la toiture est éventrée, toutes les fenêtres sont murées, il faudrait l’échelle des pompiers ou un hélico pour entrer et il ne doit rien y avoir d’intéressant dedans. Pour le frisson lisez plutôt La maison des damnés (Hell house) de Richard Matheson.
Revenons au Bitochon. Par la suite le Bitochon et son nid d’amour servirent de cadre aux exploits nocturnes, érotiques et/ou alcoolisés de la jeunesse du coin. Il se créa même à cet effet un Ordre de Saint Bitochon. On parle aussi d’un culte de la fertilité. Les héritiers de Bourdier, dans un but d’apaisement, plantèrent un cèdre de chaque côté pour dissimuler un peu cette robuste vigueur à la vue du château. L’ombre ainsi apportée ne fit que renforcer le charme de l’endroit...
Le Bitochon est sur un terrain privé mais le propriétaire tolère les visites dès lors que l’on respecte le site. Si vous le rencontrez (sa ferme est juste à côté) ne manquez pas de le saluer et lui demander l’autorisation de pénétrer sur son terrain, beaucoup de visiteurs se comportent comme s’ils étaient en terrain conquis, et il est un peu sur la défensive. Mais avec un peu de diplomatie ça devrait bien se passer.
Ils nous a expliqué lors de notre visite que le maire avait voulu faire classer le monument, ce à quoi lui s’oppose catégoriquement, et qu’il préférerait plutôt le détruire que de ne plus être maître de son terrain à cause de lui.
Ce qui serait bien dans l’esprit de Louis Bourdier, mais quand même dommage, reconnaissez.