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Une gare
Publié le 5 avril 2015
Je me souviens que j’avais dit au frangin qui retapait une vieille baraque en Corrèze : « jamais, tu m’entends, jamais je me lancerai dans un chantier pareil... La seule chose qui pourrait me faire changer d’avis, ça serait une ancienne gare, ou à la rigueur une maison de garde-barrière. »
Une heure après il stoppait la voiture devant la gare un peu à l’écart du village. On s’était avant arrêtés devant la vitrine de l’agence qui annonçait « rafraîchissement à prévoir » et un prix dont je me souviens encore, de 90 000 francs (divisez par 6.55 pour l’équivalent euros).
On est restés une heure à rêver autour. La bâtisse était pourrie, mais je me voyais tellement bien prendre l’apéro devant les rails où ne passait qu’un train à vapeur par jour, l’été. Et puis un piano dans la salle d’attente, un labo de photo dans la lampisterie, et le chien étendu de tout son long sur le quai au soleil.
C’était quand même très loin de notre Bretagne, et même très loin de tout en fait. On avait déjà notre maison à payer : mais quand on rêve ce n’est pas le genre d’argument sur lequel on s’arrête. Et puis surtout c’était un dimanche, l’agence était fermée et le lendemain on repartait.
Le frangin n’a plus sa maison là-bas depuis longtemps mais l’année dernière je suis repassé dans le coin : elle est rénovée, toiture, ouvertures et volets neufs, pimpante, et habitée, des vélos et jouets d’enfant autour. Pas de regrets mais comme un pincement au cœur un peu quand même, comme de retrouver devenue mère de famille, une fille pour laquelle on aurait eu un béguin au collège, et qu’on ne lui aurait jamais dit. Je l’ai reprise en photo de loin pour ne pas déranger.