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Les miroirs dans la boue
Publié le 3 avril 2015
Je me souviens que j’avais pris cette photo avec dans la tête la chanson de William Sheller Les miroirs dans la boue. J’en avais quelques temps après envoyé un tirage au musicien, via sa maison de disques. J’ai reçu une réponse de Sheller plusieurs mois après : la photo venait juste de lui parvenir, après combien d’intermédiaires, et en piteux état. Une pleine page manuscrite d’une grande gentillesse, me disant que la photo lui plaisait en elle-même, mais aussi précisément pour cette histoire de voyage et dans l’état où elle se trouvait. Qu’il l’avait accrochée dans son studio de travail où « elle m’apaise et me repose de tout le fatras informatique qui m’entoure » (je dis depuis toujours à peu près la même chose aux enfants qui m’offrent des dessins à l’école, mais bon... j’aime à le croire quand même).
J’étais évidemment très heureux et flatté de cette réponse. Je l’ai lue et relue la lettre, jusqu’à la savoir quasiment par cœur, encore aujourd’hui. Mais me suis dit avec l’esprit tordu qui me caractérise parfois, que conserver la lettre du Maître comme une relique, ça serait une sorte de fétichisme digne d’un fan de base de Johnny ou de Madonna, mais pas d’un amateur éclairé, et presque un copain désormais, de William Sheller. Et orgueilleusement, bêtement, stupidement, je l’ai déchirée comme on fait le sacrifice de ce qu’on aime juste pour éprouver sa capacité de détachement et voir la douleur que ça fait.
Vingt-quatre ans plus tard j’entends encore Les miroirs dans la boue en voyant la photo, et j’ai toujours mal à cette lettre déchirée.