Bannière cafcom.net

Accueil > Je me souviens > La Chaluppe, ou presque

La Chaluppe, ou presque

Publié le 14 février 2020

Je me souviens que chaque premier janvier on allait déjeuner chez la famille Berger, toujours un bon moment parce qu’il y avait deux garçons de mon âge avec qui je m’entendais bien (l’aîné toujours un ami proche, l’autre on s’est perdu de vue).

L’après-midi, tout aussi traditionnellement, c’était un tour à leur maison de campagne, une vieille ferme dans village à 10km de là. Jacky le père était du bâtiment, il avait bien restaurée la baraque ; il y avait aussi une vieille forge dans son jus avec le soufflet et tout, et un grand terrain pour jouer au ballon (j’ai toujours eu horreur de ça). Dommage qu’il y ait eu aussi une porcherie dans le village, qui puait.

Et comme l’hiver la maison n’était pas chauffée c’était juste un tour pour voir si tout était OK et les améliorations de l’année, ensuite on allait voir le viaduc des Hommes-Guillaume, ou sur le chemin des Indiens comme on l’appelait, une vieille voie ferrée désaffectée qui surplombait les champs de quatre-cinq mètres.

Il y avait un endroit en particulier que j’adorais, c’était ce tunnel, déjà parce que j’ai toujours été attiré par tout ce qui est grottes et souterrains, qu’il y avait là-dessous une réverbération extraordinaire, et que nos mères n’aimaient pas qu’on y aille (les pères s’en foutaient, parlaient bateau, bagnole ou politique). Et puis surtout, surtout, parce que l’hiver y coulait la Chaluppe.

La Chaluppe, que je vous explique, c’était — sans doute toujours — une rivière intermittente, qui ne coule au milieu des champs que l’hiver après une forte période de pluie. Sans doute en correspondance avec un trajet souterrain le reste du temps. Ça aussi, ça me fascinait, cette rivière surgie de nulle part, sans source connue, qui coulait dans ce tunnel.

Cette photo j’avais prise aussi avec la chambre 4x5" et le trépied, et doublé par habitude au 24x36. Mais le négatif grand format n’est pas bon, et puis maintenant j’aime autant le côté moins précis, mais plus simple et spontané du petit format que la belle richesse des matières du grand.

Je me souviens que c’était aussi en hiver, je m’étais mis en slip pour planter le trépied dans l’eau glacée, et avais marché pieds nus sur des ronces. Photographe de souvenirs, c’est plus qu’un métier, un sacerdoce.

La Chaluppe
Saint-Saviol, 2008

Vérification faite sur l’image satellite, c’est pas la Chaluppe qui passait sous le tunnel, elle était plus loin. Mais pour moi à l’époque c’était elle, alors voilà.