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Flûtes

Publié le 11 novembre 2019

À Alain Vlamynck

C’était deux flûtes qui se trouvaient dans mon enfance tout en haut de la bibliothèque du grand-père, où l’on trouvait l’intégrale de Balzac en cuir, le Guide des oiseaux d’Europe en couleurs et surtout ces merveilleux livres de sorcellerie des campagnes au 19ième siècle : le Grand Albert et le Petit Albert, le Grimoire du pape Honorius, La poule noire et un dernier dont le nom ne me revient pas vraiment, peut-être Agrippa ou un truc comme ça ; oublié sans doute parce qu’il était pour moi illisible. Au contraire du Grand et du Petit Albert dont j’ai essayé quelques trucs, comme celui de la Reine des mouches velues qui permet de trouver les trésors enterrés. Le hic c’est de réussir à trouver, et attraper, ladite mouche : je n’ai pas réussi. La plupart des autres secrets et philtres nécessitant de tuer des chats noirs par nuit de pleine lune, n’étaient pas vraiment faciles à mettre en œuvre non plus.

À moins qu’elles ne se soient trouvées tout en haut de notre placard à livres à nous les drôles (patois Poitevin pour « enfants », ça revient spontanément quand je je parle de ce coin), qui contenait ô merveille, l’intégrale d’Asterix, de Lucky Luke, et des trucs déjà vieux comme Bibi Fricotin, Riquiqui et Roudou, et les Pieds Nickelés. Ainsi que le catalogue de la CAMIF (du côté de ma mère, famille de profs et scientifiques) plein d’objets aussi désirables que les magnétos Uher ou les premiers reflex 24x36 japonais — des trucs qu’on ne voyait pas dans les commerces à Civray, et chez nous de catalogues il n’y avait que ceux de La Redoute et Manufrance, moins à la pointe de la technologie : les culottes Miss Mary of Sweden et les vélos ou fusils de chasse me faisaient moins fantasmer.

Enfin bref, je ne me souviens plus si c’était l’armoire ou le placard, mais c’était tout en haut des livres. Et je me souvenais qu’une des deux flûtes, on n’avait pas le droit d’y toucher, parce que c’était une flûte de berger rare.

L’armoire comme le placard ont disparu, mais les flûtes sont toujours dans la maison, que le cousin Bibi a retapée et habite maintenant. Je suis tombé dessus il y a quelques années — joie de savoir qu’elles existaient encore, et de pouvoir poser un regard d’adulte musicien dessus. Mais déception : un pipeau en plastique scolaire des années 50 ou 60, et la flûte de berger rare, un modèle pour touristes, marquée Souvenir de Gavarnie ; injouables l’une et l’autre. « Si tu les veux, tu les prends ! » il m’avait dit Bibi. Mais les objets d’enfance, c’est un peu comme les coquillages et les étoiles de mer que tu trouves sur la plage, tout beaux, colorés et brillants. Tu les ramènes à la maison et là tu n’as plus qu’un machin inutile tout triste, terne, et vaguement puant. Je les ai prises en photo sur la vieille meule du jardin, et laissées dans leur milieu naturel ; ne pensais pas que la photo ressortirait un jour — de ces images que l’on fait juste pour soi et que l’on ne se donne pas la peine de traiter ensuite : cadrer, mettre au point et déclencher suffit.

Et puis en parlant de flûtes à bec avec l’ami Alain hier, me suis souvenu de ces flûtes, et de la photo qui devait bien exister quelque part, brute de scan, sur le disque dur.

Mais bon, ce que représentaient ces flûtes dans la mémoire. Peut-être des rencontres aussi humbles, qui font que l’on devient musicien ensuite, cependant, qui sait. Et puis réaliser que la photo dans le jardin, sur la vieille pierre de meule, parle mieux à tes souvenirs, que l’objet lui-même dans une boîte à chaussures, tout en haut d’un nouveau placard.

Flûtes
Damvix, 2016