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Pré, fille, vaches

Publié le 20 janvier 2016

23e vue de mon tout premier film en noir et blanc, sans doute un déclenchement involontaire du Minox (qui est chatouilleux, je venais juste de l’acheter, et on ne voyait pas trop ce genre de cadrage dans Chasseur d’images qui était ma Bible à l’époque, sinon à la rubrique « Vos erreurs, nos conseils »). Et magie de ces négatifs argentiques que l’on retrouve intacts dans leur pochette cristal plus de trente ans plus tard, et qu’au scan c’est juste comme si tu avais pris la photo hier après-midi, mais avec ce grain et cette dynamique intemporels spécifiques au film (ici un Ilford FP4, mais il faut voir un tirage à l’agrandisseur pour retrouver cette vraie sensation).

Je me souviens de baignades l’été dans la Charente, avec maillot à cause des pêcheurs, et qu’ensuite on bronzait tout nus dans les prés, avec les vaches que ça ne dérangeait pas — enfin elles ne disaient rien. L’herbe grattait un peu, et puis les bébêtes. Je me souviens qu’un jour on avait amené avec nous un copain de lycée et sa sœur à elle, qui avait gardé un string rose avec lequel elle était bien plus nue que nue, et elle nous en avait fait tout un pataquès, tout l’après-midi des bébêtes qui lui grimpaient sur les jambes et lui chatouillaient les fesses. On ne l’a plus jamais invitée dans notre solarium.

Ensuite chacun reprenait son vélo pour rentrer dans sa ville de chaque côté de la rivière, une dizaine de kilomètres. Ça ressemblait un peu à une chanson de Montand, un mix de Clémentine et la Bicyclette.

Je me souviens qu’un jour sur son chemin de retour un bonhomme également à vélo l’avait arrêtée pour lui demander l’heure, puis demandé si elle voulait bien lui faire une petite gâterie dans le bois contre juste et honnête rémunération. Devant son refus il lui avait demandé si au moins elle n’était pas fâchée. Ça aurait dû m’amuser, ça m’avait mis dans une rage folle. On n’a pas trop d’humour à vingt ans, parfois. Ou la jalousie mal placée.

Au final, cette photo ratée (le déclenchement intempestif, c’est un peu l’éjaculation précoce du photographe) je la trouve bien plus sympathique et évocatrice, que les 35 autres soigneusement cadrées aux normes Chasseur d’images, du même film et même après-midi. Par la suite je me suis persuadé que les photos-souvenir c’était bon pour les grand-mères et les repas de famille, et que moi je faisais « de la photo » et pas « des photos ». Résultat plus aucune fraîcheur ni sincérité dans les films suivants, et ça pendant bien longtemps ; des classeurs entiers de films sans intérêt, pendant que la vraie vie se déroulait, dont je n’ai pas d’images autre que mentales. Ça a seulement recommencé (si tant est que...) quand j’ai arrêté de lire des revues de photo, et surtout renoncé à chercher à faire de belles images. Juste des photos souvenir.

Charente, 1984
Jacques Bon CC-BY-SA-NC