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La tanière
Publié le 27 juin 2020
Quand on a vécu longtemps dans un endroit et qu’on y revient ensuite régulièrement, c’est forcé d’y avoir des souvenirs. Photos ou pas.
Quand on passe sous le pont de Saint-Clément, c’est celui de La Gazette. Je l’avais surnommé comme ça à cause de sa manière d’engager la conversation sur tout et rien à chaque fois, sans dire bonjour avant (en fait il s’appelait Giraud). C’était un bonhomme que je croisais souvent en promenant le chien. Un grand gars aux cheveux blancs, il m’a dit un jour avoir 70 ans, toujours habillé d’une combinaison d’ouvrier agricole. J’ai su seulement après qu’il ait disparu de mon horizon, que si je le croisais souvent sur ce chemin, c’est qu’il campait en fait sous ce pont, jusqu’à ce qu’un couple de commerçants de Tonnay-Charente le recueille dans leur caravane stationnée dans un garage, puis lui fasse obtenir un logement social à Rochefort parce qu’il rendait la vie impossible à tous les autres usagers dudit garage. Un remake de Boudu sauvé des eaux. Je l’ai aperçu quelques fois à Rochefort ensuite, toujours dans sa cotte verte, mais ça fait des années de ça ; il doit être mort depuis longtemps.
En apprenant l’histoire de la caravane et du campement sous le pont — désaffecté, donc — j’étais allé y faire un tour, par curiosité et effaré qu’un type de 70 ans puisse vivre dans ces conditions. Il avait écrit des trucs sur les murs : « le 2=2-2006, jeudi à 23h25 je suis coucher », « celui qui sallit ce mur cera punit ». C’était bien dans le style du bonhomme.
En repassant devant quatre ans après, on est à nouveau allés voir sous la culée du pont. Toujours des restes de feux, des détritus, des graffiti. Mais ceux de la Gazette avaient été recouverts.