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Le jour où j’ai failli parler à Aziz Sahmaoui
Publié le 15 juin 2020
Je peux pas passer sur le pont suspendu de Tonnay-Charente et regarder d’en haut le jardin du château des Rochechouart sans que ce souvenir me revienne.
C’était l’été 2016 pendant le festival En accords. J’étais invité au pot d’ouverture dans le jardin du château, au titre de bénévole parce que j’hébergeais le photographe du festival et sa compagne. À part quelques habitants de la commune je ne connaissais personne ; et je ne me voyais pas aborder des musiciens inconnus et de haut niveau en leur disant « vous savez moi aussi je fais de la musique, tout seul dans ma chambre ».
Et puis j’ai croisé près du pin ce gars, Aziz Sahmaoui, avec sa tignasse frisée, une chemise bleue à pois blancs, lui aussi seul avec un gobelet à la main. Je savais que c’était un des musiciens invités parce qu’il avait déjà joué (de la mandoline, je crois, ou peut-être de la guitare) au début du pot. On s’est regardés, il m’a fait un grand sourire amical genre « je suis comme vous, je ne connais personne et je m’ennuie un peu, mais malgré tout on n’est pas si mal, ici... » Je lui ai rendu son sourire et puis on a continué chacun notre déambulation solitaire. Je m’en suis immédiatement voulu de ne pas avoir essayé de lui dire au moins un « bonjour, ça va ? » parce qu’il rayonnait de ce type une simplicité et une empathie — même sans le connaître, du tout. Ensuite seulement j’ai connu sa musique, pendant le festival (dont le principe était de faire jouer ensemble des musiciens d’horizons complètement différents, qui ne se connaissaient pas avant) puis avec son propre groupe University of Gnawa. J’ai assisté depuis à plusieurs de ses concerts à Paris ; à chaque fois une fête extraordinaire. C’est un musicien que j’admire et que j’aime profondément.
Et le regret à chaque fois que je repasse sur le pont, de me dire que ce jour-là, avec un peu plus de culot, j’aurais pu engager la conversation avec lui sans pour autant lui casser les pieds. Mais bon, si je le croise un jour, maintenant je pourrai lui raconter comment je n’ai pas osé lui parler, en juillet 2016 dans le parc du château où passait ses vacances d’enfant Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, celle-là même qui fit ensuite à M. de Montespan ces cornes dont il était si douloureusement fier, qu’il les fit peindre sur son carrosse.
Voir aussi En accords